Haïti peut recommencer avec les îles :
Pour une politique et des stratégies viables de valorisation des îles adjacentes de la République d’Haïti
Par Daniel ALTINÉ
Introduction
Nous saluons et apprécions à sa juste valeur les efforts de l’Administration actuelle visant à créer un pôle touristique à l’Île à Vache. Nous espérons que ces efforts de planification territoriale et d’aménagement ne s’arrêteront pas là et qu’ils s’étendront aux autres îles adjacentes, la Gonâve, La Tortue et les Cayemites, rendant ainsi possible un rêve que nous portons dans notre cœur depuis notre retour au pays en 1991, à savoir qu’Haïti peut recommencer avec ses îles. A l’époque, nous parlions de « recommencer », car déjà nous croyions que le modèle économique, fondé sur la République de Port-au-Prince et la négation de l’existence des régions, n’était pas soutenable et viable, et qu’il fallait à tout prix mettre en œuvre une politique de valorisation des régions et divers territoires du pays, en promouvant des zones économiques spéciales, sélectionnées en fonction de leurs potentialités, comme locomotives ou pôles de développement économique. En cette période post séisme du 12 janvier 2010, nous croyons que nous avons atteint, dans le cadre de la reconstruction de notre pays, un large consensus national quant à l’opportunité et à la pertinence d’une politique de développement régional, même si nous ne nous entendons toujours pas sur le « comment », c’est-à-dire sur les stratégies.
Pourquoi les îles ?
S’il existe diverses régions pouvant être choisies pour devenir des zones économiques spéciales sur la grande terre d’Haïti, les îles, de par leurs caractéristiques, se qualifient, se prêtent mieux et rendent plus facilement faisables les plans d’aménagement territorial ainsi que la mise en œuvre de politique et de stratégies de valorisation de leurs potentialités. En effet, qu’il s’agisse de la Gonâve, de la Tortue, de l’île à Vache, des Cayemittes, les îles de la République d’Haïti :
· sont très peu occupées et relativement vierges ;
· ont une faible densité de population ;
· ne pataugent pas dans le bourbier cadastral caractérisant le territoire continental ;
· ont une histoire très riche ;
· présentent des atouts qui les prédisposent au développement touristique du 21ème siècle.
Même si ces îles manquent d'infrastructures dans tous les domaines, il faut voir ces manques et l’inexistence des équipements / services, non comme des obstacles insurmontables, mais comme autant de problèmes à résoudre par une politique d’aménagement et des programmes de développement territorial inscrits dans le temps et la durée, en vue de mettre en valeur les atouts de ces magnifiques joyaux que le Créateur a dotés notre beau pays.
L'île de la Gonâve, anciennement appelée île de la Gonaïve, de par sa superficie de 743 km2, est presqu'aussi grande que la Martinique ou la Dominique. Elle s'étend sur 60km de long et 15km de large. La Gonâve est peuplée de 79 188 habitants en 2009, soit 106 habitants au km2. « L'île de la Gonâve possède des plages naturelles au sable blanc magnifiques. L'île abrite également des lagons, des grottes indiennes impressionnantes, de multiples flamants roses et des récifs coralliens qui ne demandent qu'à être mis en valeur. En outre, l’île Gonâve possède les plus beaux fonds marins de la région ». Cette terre, aux ressources et atouts touristiques majeurs, que convoitait l’Angleterre à l’époque coloniale, peut et doit faire l’objet de la plus grande attention de la part des plus hautes autorités du pays en vue de sa transformation en une île moderne, en une immense mégapole pouvant rivaliser avec n’importe quelle île des Caraïbes et participer à la reconstruction et au développement d’Haïti tout entière.
L'île de la Tortue, longue de 37 km sur 7 de large, soit une superficie d'un peu moins de 180 km², est peuplée de 35 347 habitants, soit environ 196 habitants au Km2. Comme à la Gonâve, la population est très inégalement répartie sur l'île qui se trouve à une dizaine de kilomètres au large de la ville de Port-de-Paix, de laquelle elle est séparée par le Canal de la Tortue. Si la partie nord de l'île de la Tortue comprend des falaises battues par l’Océan, tellement inaccessibles qu’on l'appelle la « Côte de Fer », la côte sud offre de magnifiques plages, dont « La Pointe-Ouest » considérée comme l’une des 10 plus belles plages des Caraïbes. Avec sa géologie, ses sites naturels, ses belles plages sablonneuses, ses récifs, ses montagnes, ses vestiges historiques et culturels, son histoire de boucaniers et de flibustiers, l’Île de La Tortue est donc un véritable cadeau du ciel et de la nature, mais c’est un paradis inexploité et vierge.
L'Île-à-Vache est une île sauvage et magnifique située au large de la côte sud d'Haïti, à 10 km au sud-est de la ville des Cayes. L'île est associée à l’histoire des pirates des Caraïbes, dont celle du célèbre Capitaine Morgan, un pirate britannique qui a dirigé, au XVIIème siècle, à partir de l’île comme repaire, plusieurs expéditions de flibustiers pour attaquer les ennemis de l’Angleterre. L’île s'étend sur 15 km de long sur 5 km de large, et couvre une superficie d'environ 45,96 km2. La partie ouest a une altitude de 150 m, avec plusieurs petits marais dans les vallées. La partie orientale possède une lagune avec l'une des plus grandes forêts de mangrove d'Haïti.
Les Cayemites (aussi appelées Les Cayémites) sont un ensemble de deux îles situées au sud du Golfe de la Gonâve, à environ 35 km à l'est de la ville de Jérémie, dans le département de la Grand’Anse. On distingue la Grande Cayemite à l'est et la Petite Cayemite à l'ouest, qui représentent une superficie totale de 51,29 km². Les Cayemites sont peuplées d’un peu plus de 5,000 habitants et ont environ 98 habitants au km2. D’une beauté extraordinaire, à la pointe du triangle Corail, Presqu’Île des Baradères, Iles Cayemites, ces dernières constituent une carte majeure et seront au rendez-vous, quand l’industrie du tourisme va revivre sur la terre d’Haïti, dans un avenir pas trop lointain, pour offrir leurs atouts sauvages aux promoteurs de développement touristique et immobilier, ainsi qu’aux promoteurs de marinas, seules ou en association avec la région.
Les leçons à tirer de certaines îles des petites Antilles
En vue de mettre en perspective et d’appréhender toutes les potentialités de nos petites îles, nous croyons opportun de considérer le cas de certaines îles minuscules, composant l’arc des Petites Antilles, leurs caractéristiques, les choix de stratégies économiques qui y sont appliquées depuis la fin des années 80.
Les petites Antilles constituent une longue chaîne d'îles séparant la mer des Caraïbes de l'Océan Atlantique. On les définit généralement par opposition aux grandes Antilles que sont Cuba, l’Île d’Hispaniola, la Jamaïque et Porto Rico. La plupart des petites Antilles ont une superficie inférieure à la Gonâve, comme l’indique le tableau suivant. Pourtant, elles ont un Produit Intérieur Brut (PIB) per capita largement supérieur à celui Haïti, plafonné à 1,200 en $ Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) en 2011.
Pays
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Superficie en km2
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Population
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Densité
Habitants/km2
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PIB per capita
($PPA)
CIA World Factbook
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IDH (2012)
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Dominique
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754
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72,500 (2008)
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96
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13,600
(2011)
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0.745 (72ème)
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Ste Lucie
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620
|
172,884 (2008)
|
279
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12,900
(2011)
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0.725
(88ème)
|
Antigua et Barbuda
|
442
|
88,000 (2011)
|
158
|
22,100
(2011)
|
0.760
(67ème)
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Barbade
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430
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281,968 (2008)
|
642
|
23600 (2011)
|
0.825
(38ème)
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St-Vincent et les Grenadines
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389
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118432 (2008)
|
304
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11,700
(2011)
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0.733 (83ème)
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Grenade
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350
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109 011 (2012)
|
312
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13,300
(2011)
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0.770 (63ème)
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St Christophe et Niévès
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261
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152
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16,400 (2011)
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0.745
(72ème)
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Les îles de l’arc antillais, pour la plupart d’anciennes colonies anglaises, françaises ou hollandaises, devenues indépendantes au début des années 60, mais ayant toujours des liens avec leurs anciennes métropoles, Commonwealth britannique, la France, les Pays Bas, ont transformé leur économie, passant d’une économie agricole, héritée de la période coloniale et basée sur la monoculture de la canne à sucre (plus récemment de la banane), à un modèle économique reposant largement sur le secteur tertiaire (tourisme et services financiers), et également sur la pêche.
Beaucoup de champs de canne ont été brûlées pour faire place à l'aménagement du territoire. Le tourisme, le secteur manufacturier d'exportation, les technologies de l’information, l’électronique, et les secteurs bancaires (paradis fiscal) ont atteint un stade de développement appréciable et occupent désormais les rôles les plus importants dans l'économie de ces pays qui investissent massivement dans l’éducation et la formation de leur main-d’œuvre. La croissance du secteur du tourisme est devenue la principale source de devises. Ces stratégies se révèlent payantes dans la mesure où ces îles se classent avantageusement, parmi les 100 premiers pays de la planète, sur les indicateurs de base, tels que le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant et l’Indice de Développement Humain (IDH).
Avec le Projet de l’Île à Vache, Haïti se retrouve au début d’un processus important d’aménagement du territoire de ses îles adjacentes qui pourrait permettre à notre pays de contempler un meilleur avenir pour les haïtiens, en général, et les habitants de nos îles en particulier. Il est opportun pour nos économistes, planificateurs et décideurs, d’étudier et de comprendre le modèle économique des petites îles, les succès, comme les échecs pour en tirer des leçons.
Le tourisme et les services, comme secteurs tracteurs de nos îles
Depuis 2012, l’Administration de Michel Martelly se concentre fortement sur l’île à Vache et veut faire d'elle la première destination touristique de la Caraïbes. Il s’agit là d’un important et ambitieux objectif, mais réalisable, pour peu que l’on poursuive, avec dynamisme, l’effort d’aménagement du territoire et de promotion des investissements fondé sur la mise en valeur des atouts exceptionnels de cette île. Dans cette perspective, le processus de planification du projet « Destination touristique Ile-à-Vache » auquel s'engage le Gouvernement Martelly-Lamothe, dans le cadre du plan d'aménagement touristique, mis en œuvre par le Ministère du Tourisme, prévoit la tenue d'importants chantiers dont la construction d'un aéroport international avec une piste de 2,6 km ; la construction de l'axe routier reliant l’aéroport et le reste de l’île ; le dragage du port, l'électrification et l'éclairage de toute la zone environnante ; la construction de plusieurs hôtels-resorts, de condos de luxe, d'un Centre communautaire ; d'une radio communautaire ; d'un Centre d'urgence, ainsi que la mise en place d’infrastructures agricoles.
Ce Projet « Destination touristique Ile-à-Vache » est l’occasion d’accoucher d’un véritable modèle d’aménagement de nos îles, fondé sur le tourisme et les services comme secteurs tracteurs. Il est important de bien cadrer le projet du point de vue conceptuel et d’arriver à un modèle de développement que nous, haïtiens, pouvons répliquer, tout en modulant pour tenir compte des spécificités locales, à la Gonâve et la Tortue, le triangle Cayemites – Corail - Presqu’île des Baradères. Il est tout aussi important d’éviter la précipitation sous le pseudo prétexte d’atterrir à tout prix, d’inscrire les actions dans la durée et dans une démarche rationnelle et systématique d’aménagement, pour ne pas reproduire des catastrophes comme la Plaine du Cul-de-Sac, Delmas, et plus près de nous, Canaan.
Port-au-Prince, le 25 février 2014.
Daniel ALTINÉ